Conseils d'écriture élémentaires
L’envie. Par où commencer ? Les pièges à éviter. Et après ? Et maintenant ?
Commençons
par le commencement. Écrire doit être une envie. Terrible.
Irrépressible. Tyrannique. Incoercible. Quelles que soient les raisons
(certainement nombreuses) qui te poussent à écrire, elles doivent se
raccorder à une envie. Envie d’inventer, envie de dire, envie d’être
lu(e), envie d’éclaircir, envie de rêver, envie de jouer avec les mots,
envie de s’évader, envie de contester, envie d’expliquer, envie de
rapporter, envie…
À chaque instant de l’écriture l’envie doit être
là. Même lorsque les phrases se coincent et deviennent ridicules sur ta
feuille, même lorsqu’il faut corriger pour la soixante-quatorzième
fois, même quand l’Idée qu’on savait si géniale s’est évaporée, même
quand cette jalouse de Zoé ou ce rustre de Benoît disent que ce que tu
as écrit est nul.
Et pour que cette envie soit vraie, il faut que tu
sois toi. Je répète souvent qu’on écrit avec trois choses : avec ses
mains évidemment, posées sur le clavier ou tenant le stylo, avec sa
tête qui organise un peu tout ça, et, surtout, avec son ventre. Dans le
mot « ventre » je place en vrac le cœur, les sentiments, les
sensations, les poumons, les certitudes, les doutes, la rate, les
intuitions (vachement important, les intuitions) les peurs, les joies…
Tout ce bric-à-brac indispensable n’appartient qu’à toi. Essaie
d’utiliser celui d’un autre et tu vas à la catastrophe.
Envie et ventre.
C’est clair ? On continue.
Tout
simplement par écrire. Pas de projet de titan, pas d’ambition
démesurée, de plan fignolé, de synopsis de folie. Une feuille et
l’envie d’y glisser quelques phrases comme elles viennent. Sans
préparation. Ce peut être une scène, cette fameuse scène qui te hante
et que tu meurs d’envie de raconter depuis des années, ou une autre
scène complètement nouvelle que tu découvres en écrivant. Ce peut être
un portrait, une description ou simplement quelques paragraphes sans
queue ni tête. Peu importe. La seule chose qui compte c’est prendre
conscience que la magie existe. Il y avait quelque chose dans ma tête
et maintenant c’est sur le papier.
Attention, le premier piège est là !
Est-ce
vraiment la même chose sur le papier que dans ta tête ? Relis et sois
impitoyable envers toi-même. Est-ce vraiment ce que tu avais envie
d’écrire ? Non, ne triche pas ! Réponds ! Tu es le seul (la seule) à
connaître la vérité et si tu te mens, tu es fichu(e). (c’est pas tout à
fait vrai, il y a toujours de l’espoir, j’écris ça pour le côté
dramatique de l’histoire)
Si tu n’es pas convaincu(e), aucune
hésitation : recommence. Une autre feuille ou la même, les mêmes idées
ou des différentes, peu importe. Recommence. Et n’oublie pas : il n’y a
pas d’autre objectif à atteindre que le plaisir d’écrire ce que tu as
envie d’écrire !
Ça y est ? La magie de l’écriture t’est devenue
perceptible ? Bravo. Tu as compris l’essentiel : écrire avec tes mains
des phrases organisées par ta tête qui jaillissent de ton ventre.
Les mains écrivent moins vite que ce qu’on aimerait ? On s’en fiche, on n’est pas pressé !
La
tête fait des fautes d’orthographe et n’est pas très douée en
conjugaison ? Pas de problème, elle finira par apprendre son métier !
Le
ventre reste fermé ? C’est son droit, mais alors qu’il ne vienne pas se
plaindre si la feuille reste blanche. Il faut qu’il fasse un effort. Un
conseil toutefois : ne le brusque pas trop, ce brave ventre. Cool.
Respire. Ouvre la porte, d’abord à moitié puis en grand. Laisse sortir
tes sentiments. Waouh, ça fait du bien, non ?
Bon, le plus dur est fait, on peut passer au reste.
Il
y en quelques uns que je connais bien, d’autres, plus nombreux, que je
pressens sans trop savoir où ils se trouvent et d’autres enfin,
certainement légion, dans lesquels je tombe tête première chaque fois
que j’écris. Ben oui, personne ne les connaît tous et celui qui
prétendrait en dresser une liste exhaustive en aurait pour une vie
entière. Au moins ! D’autant plus que ce qui est un piège pour un
auteur peut être une force pour un autre. Qui peut distinguer à coup
sûr ce qui est un vilain tic d’écriture de ce qui est la marque d’un
style recherché ?
Bon, reste tout de même qu’il y a des choses qu’il vaut mieux éviter.
Règle
1 : Ce qui est limpide dans ton esprit ne l’est pas forcément dans
celui de ton lecteur. Prends le temps de poser tes personnages, les
lieux dans lesquels ils évoluent, leurs relations. Quand tu écris, tu
invites celui ou celle qui te lira à une balade. À toi de faire en
sorte qu’elle soit intéressante.
Attention aussi de pas tomber dans
l’excès inverse. Donne envie à ton lecteur d’en savoir plus mais veille
à ne pas l’écraser sous une masse d’informations inutiles ou, du moins,
prématurées.
Règle 2 : Ne cherche jamais à te justifier. Si tu
as écrit une scène à laquelle personne ne comprend rien, ce ne sont pas
tes lecteurs qui sont stupides mais ta scène qui est mal décrite. Ne
l’explique pas, tu es auteur pas conteur, écoute les critiques et
remets-toi au boulot.
Règle 3 : Trop d’action tue l’action.
Quand je lis un premier chapitre d’un peut-être futur roman, il
contient souvent assez d’action pour en nourrir douze ou plus
(j’exagère à peine) Une action, quelle qu’elle soit, est prenante si
elle est amenée par touches successives. Un livre, c’est un peu une
maison. Tu as le droit de la construire comme tu veux mais si tu n’y
mets que des fenêtres, elle sera moche et s’écroulera très vite !
Règle
4 : N’est pas Proust qui veut. Des phrases courtes sont plus faciles à
manier que de longues tirades qui finissent par ressembler à des sables
mouvants.
Règle 5 : La langue française est riche de dizaines de
milliers de mots. Tu n’es pas obligé(e) de tous les utiliser mais te
contenter d’une dizaine d’entre eux pour remplir trois cent pages est
un peu… mesquin. Ton traitement de texte te propose certainement un
dictionnaire des synonymes (clic droit et « synonymes » sous Word) À
utiliser sans modération… mais avec intelligence.
Règle 6 :
Avant de s’étirer en belles et fluides phrases sur ta feuille, ton
histoire a besoin de germer, de se nourrir de tes songes, de pousser
dans l’intimité de tes pensées. Ne te jette pas sur ton ordinateur,
laisse à ton histoire un temps de gestation. Et même lorsque tu
écriras, ménage-toi des pauses. Écrire c’est aussi penser et rêver.
C’est surtout penser et rêver.
Règle 7 : Alterne astucieusement
les phases de description, celles d’action et les dialogues. Ton texte
n’en sera que meilleur, ton histoire que plus riche.
Règle 8 :
Relis, relis, relis et corrige ! Le traitement de texte (hautement
conseillé) te permet de reprendre, transformer, améliorer ce que tu
viens d’écrire. Profites-en, et admets une fois pour toutes que parmi
tous les livres que tu as lus, aucun n’est le fruit d’un premier jet. À
titre d’info, un tome d’Ewilan me demande en moyenne, trois à quatre
mois d’écriture (à raison de huit heures de boulot sur mon ordi en
moyenne par jour) et trois à quatre mois de travail de correction. Sans
oublier les heures et les heures de gestation dont je parle dans la
règle 6. J’explique parfois que j’écris vingt-quatre heures sur
vingt-quatre. En dormant, en mangeant, en parlant, en conduisant… Du
coup, lorsque je suis devant mon ordinateur, je n’invente rien, je
laisse juste sortir l’histoire qui a poussé dans ma tête.
Règle
9 : Pas trop de personnages et, surtout, pas tous ensemble, jetés en
vrac dans les trois premières pages. Une fois encore, laisse le temps à
ton lecteur de s’adapter à ton histoire et à ceux qui y vivent.
Règle
10 : Valable pour les personnages mais aussi pour les villes, les
créatures, les pays et autres guildes. Trouver un nom est un travail
qui nécessite de l’imagination et de la mesure ! Sa sonorité, sa
longueur, sa forme sont essentielles pour que le lecteur se représente
ce que tu as dans la tête. Attention aux dérives de la surenchère : ce
n’est pas parce que ton monstre sera un Duxhyraqjug, qu’il sera
effrayant ( ce serait plutôt le contraire), mais parce que tu l’auras
décrit avec habileté et que tu auras soigné l’ambiance du moment où il
apparaît. Personnellement je m’amuse avec les sons, collant et
décollant (virtuellement) les syllabes jusqu’à ce que la « musique » du
mot inventé me convienne. Les mots Ts’lich, Ewilan, Gwendalavir, et
bien d’autres encore, sont nés ainsi. J’ai toutefois veillé à ne pas
exagérer avec les sonorités étranges, et c’est pour cela qu’il existe
des marcheurs, des siffleurs et de « simples » ours élastiques.
Voilà
dix règles. On pourrait en trouver dix autres, sans doute même cent
autres, voire mille, sans pour cela cerner avec précision ce qu’est
l’écriture. Alors, plutôt que de continuer à m’étaler, je vais résumer
en deux mots :
Envie et travail.
…Et revenir une seconde sur le
mot de travail. Tu peux écrire une page et fournir un travail
remarquable, comme en écrire cinq cents et n’avoir rien compris au sens
du mot. La qualité d’un travail ne se mesure pas à la longueur d’une
histoire mais aux exigences de son auteur. Envers lui-même !
Quoi après ?
Ben… Pour que mon roman soit publié.
C’est à la fois très simple et très compliqué (si, si, les deux à la fois, c’est possible !)
Simple
parce qu’il suffit d’envoyer ton texte à un éditeur (choisi parce qu’il
publie des romans dans le genre du tien) avec une courte lettre de
présentation (de l’auteur et non de l’histoire) Ton texte sera lu,
évalué et tu recevras une réponse (ça prend parfois du temps)
Compliqué
parce que les éditeurs reçoivent des dizaines de textes par jour et que
les « élus » sont très très rares. D’où l'importance de n’envoyer un
texte que lorsque tu le considères comme parfaitement achevé et que, en
toute bonne foi, tu te sais incapable de l’améliorer.
Rappelle-toi :
Si ton texte t’enthousiasme, il n’enthousiasmera peut-être que toi,
mais s’il ne t’enthousiasme pas, il a peu de chance d’enthousiasmer
quelqu’un !
Il me reste deux ou trois choses à dire. Ou à redire.
D’abord
que ce qui précède n’engage que moi et que, s’il existe mille façons de
parler de l’écriture, la mienne n’a pour but que te donner un (très)
modeste coup de main.
Ensuite le besoin de préciser qu’écrire est
certes un plaisir mais que ce n’est pas le seul plaisir au monde. Loin
de là. On peut très bien vivre heureux sans inventer la moindre
histoire.
Et pour finir, l’envie de te souhaiter bon courage et belle route.
Dans tes histoires et dans ta vie.
[Pierre Bottero]